les facteurs de la résilience en art


 

À partir de quel moment peut-on considérer un objet comme œuvre d’art ?

 

(Question posée par un internaute après avoir vu un acte artistique déversement de gravats par un camion du haut d’une colline)

Aujourd’hui, l’existence de l’œuvre d’art est problématique. D’une part, les valeurs esthétiques ont été abolies depuis des décennies, rendant les critères de jugement des œuvres d’art obsolètes. D’autre part, l’artiste ne créant plus, comme naguère, un microcosme qui correspondait à un macrocosme transcendantal (le monde régi par Dieu), se trouve libre d’exprimer ses propres sentiments, sensations, pensées. On assiste donc à la subjectivisation de l’art, chaque artiste devenant un sujet avec toutes ses particularités et s’exprimant à sa manière propre. N’exprimant plus une vision du monde commune, les artistes s’éloignent de la représentation et cherchent à trouver une assise pour leurs œuvres dans le fonctionnement de la société en s’inscrivant dans les aspirations de celle-ci, quand ils ne se concentrent que sur la matérialité de l’œuvre en introduisant des objets incongrus, inventant des formes nouvelles ou se manifestant par des actions directement sur le monde. Toute valorisation de ces œuvres étant impossible, ne reposant pas sur des valeurs esthétiques, la seule chose qui compte, c’est la singularité du geste et l’expression des artistes qui les distingue les uns des autres.

 

Dans la peinture, ils rompent le cadre physique et spatial de la toile et agissent directement dans l’espace. Ce ne sont plus les œuvres d’art qui comptent, mais l’espace que ces œuvres créent par un agencement volontairement spectaculaire. L’œuvre d’art est vidée de tout sens, signification, valeur. Ne reste que l’espace qui transcende le cadre de l’œuvre. En fait, l’œuvre d’art dans le sens classique disparaît et il ne reste que l’artiste. Mais la question se pose : en quoi l’acte de cet individu « artiste » est distinct de l’acte de tout autre individu ? En effet, en quoi le déversement de gravats d’un camion d’en haut d’une colline par un artiste diffère du déversement de gravats d’en haut d’une colline par un constructeur, à part l’inutilité du geste du premier ? Mais l’art ne puise pas sa spécificité de l’inutilité. Finalement, ce n’est que l’affirmation de l’œuvre par l’artiste lui-même se définissant comme tel :

 

Je produis quelque chose qui ne sert à rien, qui n’a aucune originalité, qui n’est ni belle ni laide et cette chose, je la présente comme mon œuvre d’art, donc je suis un artiste, de toute façon je n’ai même pas besoin de l’œuvre, mon seul geste ou mon affirmation suffisent.

 

Cette affirmation est confirmée par toute une série d’acteurs orbitant autour de l’œuvre. Musées, galeries, commissaires d’expositions… Se pose la question de crédibilité, car les choix dans toutes les situations sont arbitraires. Donc, en réponse à la question : À quel moment s’agit-il de l’œuvre d’art ?, aujourd’hui, dans la majorité des cas, la réponse est : au moment où l’on croit que c’est une œuvre d’art. Mais de ce fait, nous ne sommes plus dans le domaine du jugement objectif mais dans le domaine de la croyance et cette affirmation ne peut avoir de valeur que pour celui qui l'affirme.

Ksenia Milicevic