Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font

 Samedi soir, un programme grand public à la télévision. Sur la scène un groupe d’acrobates fait des exercices habituels vêtus de costumes déchirés, rapiécés, sur leur visages des patchs rouges qui les enlaidissent. Tout dégage une sensation désagréable de laideur.  

Nous sommes déjà habitués, la mode est à la laideur. On la rencontre dans le spectacle, dans la décoration, dans la rue, dans diverses manifestations collectives...  La mode tient son apparence de l'utilité, de l'exigence des matériaux et surtout de la forme dominante de l'art. En occurrence, de l'art contemporain où la laideur domine.  Cette influence est directe, sans qu'aucune question de sens n'entre en jeu. C'est la mode, c'est tout.

Il y va tout autrement lorsqu'il s'agit de l'art. Celui-ci repose sur la pensée et la vision du monde qui en résulte. On peut se demander combien d'artistes d'art contemporain travaillent en connaissance de cause, par ignorance, ou par opportunisme. Combien d'entre eux possèdent encore l'esprit critique pour faire librement leur choix entre le laid et le beau. Peut-être que la pensée dominante depuis un siècle a tout simplement coulé sur aux sans avoir à se poser de questions.  

Savent-ils qu'ils beignent dans le relativisme total commencé par les Romantiques et abouti avec les Post-modernes.  Adhérent-ils réellement à des idées des Ant-lumières qui rejettent le beau depuis l’affirmation de Burke  déjà en 1757 que "les beaux objets sont petits".  Croient-ils vraiment qu'il faut rejeter le rationalisme, et  mettre en doute notre capacité à comprendre le monde, considérant que toute objectivité  est impossible et que, comme résultat " tout se vaut". Se détournent-ils consciemment de tout ce qui concerne la raison, notamment, la science  ?

Que c'est-il passé pour que certains artistes  s'éloignent radicalement de l'art, produisant des objets qu'on peut qualifier de distraction, de jeux et d'autres, car ceux-ci ne sont pas les seuls, plongent dans le doute lorsqu'ils se trouvent face au désir de faire de l'art ?

 

L'art en Occident  a été toujours lié à la philosophie et à la science simultanément. Avec les attaques contre la raison la philosophie se replie sur d'autres branches nouvellement apparues, comme la sociologie, la politique... L'art fait de même et  divers mouvements se succèdent rapidement. La politique, la sociologie et la psychologie ont surtout dominé le champ artistique qui s'est embourbé dans la critique et le discours.

 Mais la critique sociale s'est essoufflée rapidement, car suivant la pensée post-moderne qui rejette l'objectivité et soutient que tout dépend du point de vue subjectif de chacun, oriente l'art vers des expressions purement subjectives et  arbitraires. Parallèlement la raison, la logique, la rationalité ne dépassent pas le domaine de la science sur laquelle, de plus, règne encore la suspicion du scientisme. 

Mais pourquoi alors les penseurs post-modernes comme Lacan, Kristeva, Deleuse, Baudrillard...criblent-ils leurs textes de notes rapportées des théories scientifiques. De plus, des notes sans sens, sans compréhension, abusivement utilisées. ( voir "L'imposture intellectuelle d'Alan Sokal et Jean Bricmont, 1997, encore d'actualité).

Depuis l'antiquité les philosophes ont été des  scientifiques et les scientifiques philosophes. Après la séparation  entre les Lumières et les Anti-Lumières la science se développera d'une manière accélérée, pendant que la philosophie s’empêtre dans des doutes métaphysiques, se tourne vers le social et le politique. Elle s'oriente vers le relativisme avec ses contradictions et auto-contradictions. Alors nos philosophes post-modernistes s'appuient sur les "indéterminations quantiques", sur la "théorie du chaos", sur la topologie pour étudier le psychisme (Lacan). Tout ceci dans des phrases "dénuées de sens, si non des banalités couvertes de jargon obscur" (Sokal). Toute une manipulation comme si les philosophes cherchaient désespéramment les fondements pour leurs propositions qui refusent tout fondement.  Les artistes piégés, consciemment ou pas, écrivent des "staitements" complètements inutiles, surtout depuis l’avènement de l'internet qui est friand de mots car les robots ne peuvent pas lire des images. 

Les artistes de l'art contemporain au moins, même si apparemment ne savent pas ce qu'ils font, ont la satisfaction d'être à la mode, mais un autre groupe d'artistes, ceux qui souhaitent faire de l'art,  se trouve face à des  doutes profonds.  Ces artistes sont en prise avec une incertitude  sur la validité de la voie qu'ils entreprennent car rejetés par les  institutions, le marché et surtout ne trouvant aucun appui théorique. Il en résulte la perte de générations d'artistes potentiels. La difficulté pour les artistes d'aujourd’hui réside dans la faiblesse de la pensée actuelle. Le lien entre la philosophie et la science est rompu et l'art se trouve dans l'impossibilité à se réaliser car il repose sur une double nature qui ne lui est plus offerte. Il repose sur la physique concernant sa structure profonde (l’esthétique) et sur la vision du monde du moment qui lui donne sa forme apparente. Si la science et la philosophe sont déliées il n y a pas d'art. Plongés dans le relativisme les artistes contemporains correspondent à un moment de la déroute de la pensée.

 Mais pensent-ils ce qu'ils font ?  

Dans cette situation c'est aux artistes aux-même de trouver une jonction entre la rationalité et la sensibilité et proposer un regard cohérent à travers  la connaissance de la nature pour créer une vision qui puisse fédérer par l’esthétique, car sans ceci il n y a pas d'art. Et si il n y a pas d'art c'est le dérèglement. C'est aux artistes de prendre le chemin de la résilience.

Ksenia Milicevic